- MIME ET PANTOMIME
- MIME ET PANTOMIMELa pantomime, la mime sont des formes d’expression par gestes sans recours à la parole; par extension, au théâtre, la pantomime elle-même constitue l’argument interprété par l’acteur – le pantomime ou, par contraction, le mime –, en fonction d’une histoire dramatique de composition (le mimodrame) ou d’un ensemble de situations comiques, sans intrigue et sans dénouement, animées par la verve de l’interprète (la pantomime sautante ou acrobatique, l’arlequinade). Si haut que cette forme remonte dans les lointains de l’humanité, elle n’a pris identité que dans la Grèce du Ve siècle avant J.-C., d’où elle gagna Rome pour s’épanouir en Occident, non qu’elle se limite à ce continent, comme en témoignent les études consacrées au théâtre d’Afrique et d’Asie [cf. THÉÂTRES DU MONDE].Origines antiquesAu cours des siècles, l’art de la pantomime ne s’est pas figé; il a changé de contenu selon les époques et les circonstances. Bien qu’on attribue l’invention de cette forme théâtrale au poète grec Sophron de Syracuse (Ve s.), on peut soutenir qu’elle existait bien avant lui. De tout temps, l’acteur placé dans un cadre de grande dimension doit multiplier ses gestes pour être compris; il recourait parfois à un masque accusant ses traits, à un costume traditionnel caractérisant son personnage. Les mimes grecs, dans des scènes réduites à quelques types sociaux, animaient des parodies, ridiculisaient les travers de leurs contemporains. Ces imitations, servies par des mimes de plus en plus nombreux mais de moins en moins capables, passèrent de la caricature plaisante à la parodie si grossière que les auteurs de pantomimes comprirent la nécessité d’en relever l’esprit par la comédie de mœurs et de situations, ainsi que par des sujets touchant à la tragédie et à la religion. On y parlait peu, mais on y parlait encore.À Rome, sous la République, la parodie des personnages appartenant à la classe dominante s’étendit à l’expression des sentiments sous les traits du niais, de l’amoureux, de l’avare, et à la raillerie de types populaires: belluaire, athlète, gladiateur, guerrier, poète. Mais sous l’Empire, les mimes, soumis aux autorités constamment en éveil, furent contraints d’abandonner totalement la parole et s’abstinrent de tout commentaire pour échapper aux sanctions et, en cas de récidive, aux mesures de bannissement promises aux acteurs devenus les agents publicitaires des factions populaires rivales. Tous les Césars, d’Auguste à Trajan, sévirent. Le mime Hylas fut fouetté, Pylade fut banni. Pour finir, Domitien interdit la scène aux mimes.Un langage européenAvec la colonisation romaine, la pantomime se répand dans les pays méditerranéens et d’Europe centrale. Les représentations, organisées pour des spectateurs de langues différentes, favorisent le renouvellement et le développement d’un théâtre de gestes compris par le plus grand nombre des habitants des peuples asservis. Après l’effondrement de l’Empire, au sein de structures sociales disparates et dispersées, les mimes peu soucieux de se soumettre au pouvoir en place reprennent leur liberté d’expression. Ils courent les fêtes populaires, paraissent et disparaissent sur les foires et, les siècles suivants, se mêlent aux pèlerinages, échappant aux entraves des autorités religieuses et poursuivant difficilement l’exercice régulier de leur profession. Aussi la mime ne put survivre que par tradition et ne trouva plus d’auteurs capables de lui fournir des thèmes d’inspiration. Charlemagne chassa de ses États les mimes accusés d’obscénité, les conciles les interdirent.Plusieurs siècles durant, l’art du geste reparut sporadiquement chez les trouvères et les troubadours en des scènes chantées, de leur invention, allusives ou allégoriques.La pantomime retrouva sa vogue à la fin du XVIe siècle avec l’arrivée des comiques espagnols et italiens à la cour d’Henri III. La tradition castillane de représenter en intermèdes des farces à deux ou trois personnages était passée d’Espagne en Italie, excitant la verve bouffonne des plaisantins locaux de la péninsule qui parodiaient déjà les types singuliers de leur province et poussèrent la caricature jusqu’à créer des personnages particuliers ayant leur psychologie propre et leurs réactions personnelles. Venus en France et incapables, par ignorance des finesses de la langue, de donner au pouvoir des mots toute son intensité, ces comédiens utilisèrent d’abord le comique de gestes et d’attitudes pour s’exprimer et les personnages qu’ils animaient devinrent les héros de l’action théâtrale. Arlequin, Polichinelle, Cassandre, Matamore, le Docteur, Colombine furent les noms génériques d’une spécialité, d’un emploi, d’un rôle; Arlequin, le premier connu, donna même son nom à une forme de pantomime dite arlequinade sautante ou italienne, plus simplement comédie italienne ou commedia dell’arte. Leurs successeurs établis en France utilisèrent la parole pour exprimer des sentiments, définir des situations, appuyer leurs sauts à terre ou leurs équilibres sur la corde, et inventèrent des canevas. Ils obtinrent des pouvoirs publics le privilège, limité à leur technique des sauts et des empoignades et avec obligation de s’en tenir au genre, d’ouvrir des loges sur les foires parisiennes et des théâtres d’acrobaties. Les spectacles d’acrobates, tels les Grands Danseurs du Roi, l’Ambigu-Comique, les Variétés-Amusantes, subsistèrent jusqu’à la Révolution. Arlequin reste le premier rôle, tandis que Pierrot est celui des pantomimes-féeries à machines, aux décors et accessoires truqués, introduites sur les trétaux de foire, importées et mises au point sur les scènes londoniennes et dites pantomimes anglaises. Parmi les artistes qui s’illustrèrent alors, il faut citer Bordier, l’arlequin des Variétés-Amusantes, Ange Lazzari celui de son théâtre, Moreau celui de son spectacle du Palais-Royal.La pantomime romantiqueVers 1800, on appelle mimes tous les imitateurs quels qu’ils soient. Un danseur simulant une action sur une musique donnée est un mime. Les spectacles et les scènes à figuration nombreuse que donne le Cirque-Olympique et dans lesquels l’équitation constitue le principal intérêt prennent le nom de pantomimes équestres.Un décret napoléonien de 1807 réglementa l’activité et l’exploitation des théâtres et les réduisit à huit. Tous les théâtres d’acrobaties disparurent; seuls les spectacles forains de la place publique et les spectacles à demeure, dits de curiosité – danses de corde, illusionnisme, marionnettes –, subsistèrent. En 1810, le Café d’Apollon obtint la permission de représenter des scènes à deux personnages «sans action et sans suite», c’est-à-dire où tout dialogue était interdit. Néanmoins, en 1815, le spectacle des Funambules est autorisé à couper ses séances d’acrobaties par des pantomimes arlequinades, à condition qu’elles soient interprétées par les «artistes d’agilité» eux-mêmes. Le spectacle de Mme Saqui, une danseuse de corde, obtint peu après la même permission. Les artistes d’agilité, n’ayant pas de répertoire où puiser, utilisèrent les scènes et les traditions que les arlequins avaient mises à l’épreuve des publics. Bientôt la mode est aux pierrots, dans les trois spectacles parisiens de pantomime; Jean-Baptiste Gaspard Deburau et Philippe Laurent, un arlequin qui vient d’Angleterre, sont aux Funambules, Félix Chiarini est au spectacle des Acrobates et Blanchard, dit le Corniche pour son gigantesque chapeau de laine, passe à Bobino. Tous se disent «artistes pantomimes», quels que soient leur répertoire et son contenu.Sur les scènes des théâtres, les polichinelles disputent leur place aux pierrots venus des spectacles d’acrobatie. En 1825, Mazurier, un Français, triomphe à la Porte-Saint-Martin. On voit Pitrot au Vaudeville et au théâtre royal de l’Opéra-Comique; il finira maître de ballet à l’Opéra de Vienne. William Falkenston, un Anglais, paraît au Gymnase-Dramatique. Spinaletti, un Italien, est aux Variétés. Au Cirque-Olympique, Gaertner, un Allemand, s’inspire de Mazurier. Mais ce sont des acrobates plus que des mimes et des polichinelles.Pendant vingt ans, Deburau, pierrot en titre des Funambules, sera, grâce à Jules Janin qui lui consacre un livre, le plus connu des mimes des théâtricules du boulevard du Temple. Deburau tire parti au maximum des pièces écrites pour lui, excellant dans la parodie du mitron, du pâtissier, du maçon et des personnages qu’il observe au cours de ses flâneries de quartier. Mais les mimes des Funambules sont toujours réduits au mutisme absolu, la censure ministérielle n’autorisant la représentation que des pièces qui justifient leur titre de pantomime arlequinade. C’est avant 1830 que la pantomime connaît son apogée. Après cette date, Pierrot éclipsera peu à peu tous les types de la commedia dell’arte et donnera son nom, à cause de son grimage et de son costume, à une forme particulière et limitée, dite pantomime blanche.Philippe Laurent, l’arlequin rival de Deburau, passe sous Louis-Philippe au Cirque-Olympique. Son imagination fertile en inventions mécaniques y trouve à résoudre des problèmes de mises en scène truquées plus compliquées qu’aux Funambules, dernier refuge de l’arlequinade sautante dite italienne et de la pantomime à matériel dite anglaise. Le cirque a épuisé, en effet, tous les fonds de tiroir du mélodrame et de la pantomime équestre. Il présente des pantomimes-féeries avec un luxe de décors et de tableaux à surprises, comme Les Pilules du Diable et Le Mirliton enchanté.Un spectacle musicalPhilippe Laurent a été remplacé par Cossard. Deburau a pour concurrent John, le cadet de Philippe, et Charles Legrand, dit Paul, qui le double à l’occasion. La pantomime, pleine des exagérations romantiques, est à son déclin. Des littérateurs tels Charles Nodier (Le Songe d’or ), Théophile Gautier (Le Tricorne enchanté ) et d’autres essaient de la sortir de son esprit comique et suranné. Charles Bridault (Mort et remords ) et Champfleury (Pierrot valet de la Mort et Pierrot pendu ) l’entraînent momentanément sur la voie du réalisme. Deburau, que son état de santé éloigne de la scène, et son fils Charles qui lui succède laissent aux arlequins le premier rôle des pantomimes. Des compositeurs de musique commencent à s’y intéresser: Offenbach met en musique Arlequin barbier et Pierrot clown ; Hervé compose Pierrot au château , Jean Gilles , Pierrot cosaque , Pierrot quaker , La Sœur de Pierrot , Pierrot indélicat ; Maurice Sand, Nadar, Dantan jeune, Théodore de Banville écrivent des pantomimes. Acrobatique, puis bouffonne, la pantomime devient musicale. Derudder et Vautier, des polichinelles, Négrier, un arlequin, Laplace, un cassandre, Kalpestri et Guyon, des pierrots, se partagent les emplois dans les spectacles de pantomime jusqu’à la fermeture des Bouffes-Parisiens et des Funambules chassés du boulevard du Temple par les travaux de voirie. En 1865, un décret instituant la liberté des théâtres, les affranchissant de toute exclusive et supprimant les privilèges, permet à toutes les entreprises de représenter le genre dramatique qui leur convient. Les mimes se dispersent. L’usage de la parole leur étant désormais permis, beaucoup entrent au cirque comme clowns. Les autres deviennent acteurs ou parcourent la province. Bordeaux où la pantomime est toujours en faveur accueille Deburau fils. À Marseille, qui rivalise avec Bordeaux, Louis Rouffe ouvre une école de mime qui assure à la pantomime dite marseillaise, avec Séverin et Thalès, une primauté qui s’imposera difficilement quand le Cercle funambulesque, fondé en 1888 par Raoul de Najac, les frères Larcher et Paul Margueritte, essaiera de rendre à la pantomime traditionnelle le rayonnement qu’elle a définitivement perdu. Jacques Normand, Félicien Champsaur, Camille de Saint-Croix, Paul Hugounet, Catulle Mendès, Armand Sylvestre, René Maizeroy collaboreront avec Francis Thomé, Edmond Audran, Gabriel Pierné, Raoul Pugno, André Wormser pour transformer en apothéose cette renaissance où Félicia Mallet, les frères Coquelin, Mévisto aîné, Courtès et des danseuses célèbres assureront leur renommée dans des rôles de pierrots, de pierrettes et de colombines. Mais faute de mimes qualifiés, le Cercle funambulesque cessera ses représentations déjà fort espacées. Aussi, dès qu’il se consacrera à la pantomime blanche, Georges Wague verra croître son autorité de mime. Sous le nom de cantomimes, Wague interprète par le geste les Chansons de Pierrot composées par Xavier Privas et mises en musique par Gaston Perducet.Les temps modernesWague, jouant d’instinct et d’inspiration, s’oppose systématiquement à Séverin et à Thalès, représentants de la pantomime d’école. Après quelques années de recherches, il abandonne la pantomime blanche et les pierrots qu’il incarne avec Christiane Mendélys, la dernière des colombines, pour en revenir au mimodrame, plus accessible aux spectateurs. Interprète de la pantomime dramatique, Georges Wague a pour partenaires Colette, qui l’a dépeint jusqu’à le rendre inoubliable, Caroline Otéro, Christine Kerf, Régina Badet, Sonia Pavloff, Polaire, Napierkowska, qui toutes ont fait leur carrière au théâtre ou au music-hall et non dans l’art muet. Wague, mime, sera l’interprète principal du premier film muet de long métrage, Christophe Colomb , tourné pendant la Première Guerre mondiale. Nommé professeur au conservatoire de musique, Wague continuera à l’Opéra sa carrière de mime aux côtés d’Ida Rubinstein (La Tragédie de Salomé , Antoine et Cléopâtre , musique de Florent Schmitt), Natacha Trouhanova (La Danse macabre de Saint-Saëns), Argentina (L’Amour sorcier de Manuel de Falla, Triana d’Isaac Albéniz). La pantomime blanche n’a plus pour représentants que Séverin, un vétéran, et Farina, un jeune.Cependant, entre les deux guerres mondiales, Étienne Decroux réhabilite par la parodie les sources émotionnelles de la pantomime antique et professe, dans l’école qu’il ouvre, la technique du «mime corporel». Par les mouvements du corps, il suggère la machine, la marche, une course à bicyclette ou les sentiments collectifs de citadins animés par la joie ou hantés par la peur. Marcel Marceau, le plus doué de ses élèves, se libère de la servitude trop apparente du dynamisme contemporain. Il crée le personnage de Bip, un frère de Pierrot, un bouffon à figure enfarinée vêtu d’un collant noir d’acrobate, et, sans rien devoir aux techniques traditionnelles du mime, invente avec le monomime et ses «pantomimes de style» un langage gestuel qui lui a apporté un renom incontesté. Il a été amené à se produire sur les scènes des pays du monde entier, a suscité partout l’enthousiasme et a fait école. En France, Marceau trouve en Gilles Ségall et ses «pantomimes d’un sou» un continuateur, que Jean-Louis Barrault n’hésite pas à appeler dans sa troupe, et en Pierre Véry un présentateur de ses pantomimes de style, dans une forme statique comparable à ce qu’on appelle les «tableaux vivants».Marcel Marceau, qui a tenté plusieurs fois d’organiser des compagnies de mimes interprétant des spectacles collectifs, n’est pas parvenu à obtenir l’homogénéité durable et suffisante, à défaut de salle de théâtre spécialisée, pour persévérer dans la pantomime. C’est dans la parodie et le monomime, avec son personnage de Bip, qu’il a atteint à la maîtrise du geste et de soi (Le Fabricant de masques ).À l’étranger, qu’il n’a cessé de parcourir, à part de courts séjours à Paris, Marcel Marceau a suscité quelques vocations, notamment en Tchécoslovaquie et au Japon. D’autre part, le fils d’Étienne Decroux a repris le flambeau de son père. Dimitri Werner, dit Dimitri, élève de Decroux et de Marceau, Pierre Byland, qui renouvelle la pantomime acrobatique, Jean-Baptiste Thierrée, dit Baptiste, en compagnie de Victoria Chaplin, la fille de Charles Chaplin, essaient avec succès de maintenir la mime dans des traditions toujours peu faciles à retrouver.
Encyclopédie Universelle. 2012.